Selon le dernier bilan, 24 militaires ont péri, lundi, dans une attaque perpétrée contre une caserne dans la province du Soum.
L’armée du Burkina Faso a connu, lundi 19 août, sa journée la plus noire depuis que ce pays d’Afrique de l’Ouest est devenu, début 2016, la cible de groupes armés extrémistes. Affiliés à Al-Qaida ou à l’organisation Etat islamique, ceux-ci étendent la terreur dans le Sahel et au-delà sans que les forces de sécurité nationales et étrangères déployées dans la région parviennent à l’endiguer.
Selon un communiqué publié mardi par l’état-major général des armées, le bilan de cette attaque menée par « des groupes armés terroristes » contre la caserne de Koutougou (extrême nord sahélien du Burkina, proche de la frontière malienne) s’élève, du côté des militaires, à 24 morts, 7 blessés et cinq disparus. « Le 19 août est une tache noire dans la vie de notre armée car c’est la première fois que nous avons [un tel] nombre de victimes. C’est un bilan lourd, c’est un bilan qui nous interpelle », a écrit le président, Roch Marc Christian Kaboré.
« L’attaque d’envergure » du détachement militaire a eu lieu « au petit matin », a précisé l’état-major. Le nombre d’assaillants était, semble-t-il, très élevé : « une centaine d’hommes armés, avec des drapeaux noirs », équipés d’armes lourdes et de fusils d’assaut de type « kalachnikov », selon une source sécuritaire. « C’est visiblement une attaque bien préparée et coordonnée par plusieurs groupes terroristes. Ils ont tiré à l’arme lourde sur le camp de base, notamment des roquettes qui ont incendié plusieurs installations, des moyens roulants et de l’armement », a précisé une autre source citée par l’Agence France-Presse. « En réaction à cette attaque barbare, une vaste opération aérienne et terrestre de ratissage a permis de neutraliser de nombreux assaillants », a assuré l’état-major, sans plus de précision.
Deux sources de violences
Mardi soir, l’attaque n’avait pas encore été revendiquée. Mais la nature militaire de la cible, le mode opératoire et la localisation semblent désigner les groupes djihadistes évoluant dans cette région. Car cette zone est également en proie aux affrontements intercommunautaires commis par des groupes dits « d’autodéfense ».
La conjugaison de ces deux sources de violences, qui s’alimentent par un cycle de représailles, se traduit d’ores et déjà par une situation alarmante pour les civils. Un décompte du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) indique que le nombre de personnes déplacées au Burkina en raison des violences est passé de 47 000 à 239 000 de janvier à juillet. Près de la moitié d’entre elles sont originaires du Soum, division régionale incluant Koutougou. On en comptait dix fois moins un an auparavant. Ces attaques de diverses origines ont également fait plus de 500 morts ces derniers mois sur tout le territoire. L’OCHA alerte sur « une dégradation sans précédent de la situation humanitaire dans le pays (…) consécutive à l’escalade de la violence ».
Dans un rapport remis mi-juillet au secrétaire général de l’ONU, l’équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions onusiennes à l’encontre de l’Etat islamique et d’Al-Qaida s’inquiétait en effet de « l’ambition et de l’emprise croissantes des groupes terroristes au Sahel et en Afrique de l’Ouest ». Le Burkina Faso – considéré jusqu’à récemment comme un havre de paix alors que le Mali, son voisin, s’enfonçait dès 2012 dans la guerre – illustre ce constat.
Pour l’étayer, les enquêteurs précisaient dans leur rapport les liens qui unissent dorénavant différents groupes armés du Burkina et du Mali qui se jouent des frontières poreuses et inamicales séparant administrativement des Etats faibles. « La katiba Serma, qui opère au sud de Douentza et de Hombori [au Mali], fait le lien entre JNIM [Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin ou « Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans », affilié à Al-Qaida] et Ansaroul Islam », écrivaient les rapporteurs. Cette dernière entité, Ansaroul Islam, est considérée comme le premier groupe islamiste militant à s’être implanté au Burkina Faso et plus précisément dans la région du Soum. Leur premier fait d’armes remonte ainsi à l’attaque, de décembre 2016, contre un avant-poste militaire, tuant 12 militaires burkinabés cantonnés à Nassoumbou, un village guère éloigné de Koutougou.
Inquiétude
Face à la dynamique de ce péril, l’armée burkinabée semble bien démunie, comme le confirme l’attaque du 19 août. « Les moyens et les effectifs [des forces de sécurité et de défense burkinabées] manquaient », précise une source militaire dans la région du Sahel. Selon un autre spécialiste, « le fait qu’une caserne soit attaquée prouve que l’armée burkinabée n’arrive pas à monter en puissance ». « Mal payée, mal équipée, sans moyen de projection tels que des hélicoptères et, face à des combattants déterminés, l’armée n’est pas adaptée pour répondre à la menace », ajoute-t-il.
A sa décharge, ni les opérations ciblées des 4 500 militaires français de l’opération « Barkhane » contre des chefs de groupes djihadistes, ni le déploiement d’une dizaine de milliers de casques bleus au Mali, ni l’embryon de coalition de force régionale du G5 Sahel (Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad) ne sont parvenus à contenir ces groupes qui progressent vers le golfe de Guinée et empiètent de plus en plus sur les frontières du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo.
Preuve de l’inquiétude que cette question provoque, les présidents des quinze pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sont convenus d’un sommet extraordinaire dans la capitale burkinabée, Ouagadougou, prévu le 14 septembre. L’objectif, pour le président ivoirien, Alassane Ouattara, est de débattre des questions sécuritaires afin « de mieux coordonner [leurs] efforts et de prendre toutes les mesures nécessaires pour essayer de combattre le terrorisme ».