FIGAROVOX/ENTRETIEN - En ce jour de fête nationale et de célébration de l'armée française, le général Vincent Desportes nous livre son analyse sur les opérations extérieures et la stratégie militaire de la France.
Saint-cyrien, ingénieur, docteur en Histoire et ancien directeur de l'Ecole de guerre, le général de division Vincent Desportes, est aujourd'hui professeur associé à Sciences Po Paris et enseigne la stratégie à HEC.
L'armée française est partagée entre des opérations extérieures et une opération de sécurité renforcée sur le territoire français (gares, synagogues, écoles…). L'emploi de l'armée française est-il optimal?
L'armée française est sur-engagée par rapport à ses capacités. Elle n'est donc pas capable de déployer sur chacune de ses opérations les effectifs et les moyens nécessaires. Ce faisant, elle a du mal à parvenir à des résultats rapides et convaincants. On l'a vu au Mali et en Centrafrique, on le voit aujourd'hui dans les opérations Barkhane et Sentinelle. Ce qui s'impose serait soit de renforcer les moyens, soit de faire des choix dans les opérations dans lesquelles la France décide de prendre part.
Quelle est l'efficacité des opérations Barkhane dans la bande sahélo-saharienne (3000 soldats) et Sangaris en Centrafrique (1700 soldats)? Comment qualifier la stratégie française dans la région?
L'opération Barkhane est nécessaire. La France n'a pas d'autre choix que d'aller détruire ses adversaires là où ils résident. Ce sont aujourd'hui des terroristes djihadistes dans la bande sahélo-saharienne. La France est responsable du chaos actuel dans la région, conséquence de notre expédition en Libye en 2011. La difficulté de l'opération Barkhane est que nous avons 3500 personnels dans une zone qui est plus vaste que l'Europe ; sur un tel espace avec des moyens si restreints, des dizaines d'années seraient nécessaires pour aboutir aux résultats recherchés.
En ce qui concerne l'opération Sangaris, la France n'a jamais été capable de déployer les moyens nécessaires. Elle n'a pas pu empêcher l'épuration religieuse et la partition du pays en deux, entre le Nord et le Sud. On discerne là une inadéquation profonde entre la mission et les moyens.
La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN a-t-elle été une décision appropriée? N'en a-t-elle pas fait une force supplétive des Etats-Unis? Quel est l'impact de l'OTAN sur la stratégie militaire française?
Il n'était pas du tout nécessaire de réintégrer le commandement intégré de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Le problème se pose aujourd'hui différemment. A partir du moment où nous y sommes, il est extrêmement difficile d'en sortir sans créer une crise politique majeure avec nos alliés essentiels qui sont, qu'on le veuille ou non aujourd'hui, les Etats-Unis.
La réintégration avait été justifiée par la nécessité de faire avancer l'Europe de la défense. Hélas, c'est un échec profond: celle-ci n'en a pas du tout tiré parti. Il est aujourd'hui indispensable de se lancer dans la construction de l'Europe de la défense, en étant réaliste: tout ce qui s'est fait jusqu'à présent n'a produit que des résultats extrêmement limités. L'OTAN est un frein à la construction de l'Europe de la défense. Les Etats-Unis doivent progressivement laisser les Européens traiter eux-mêmes leurs propres problèmes sécuritaires.
Cependant le slogan de l'Eurocorps, embryon d'une armée européenne, est «une force pour l'Union européenne et l'OTAN». De ce fait, comment imaginer que la future armée européenne se détache de l'OTAN?
L'OTAN doit progressivement se transformer en pilier européen autonome et indépendant des Etats-Unis, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La majorité des Etats européens se sentent protégés par leur seule appartenance à l'OTAN alors même que les Etats-Unis se désengagent des problèmes européens (sauf sursaut comme ce fut le cas en Ukraine), avec leur pivot vers le Pacifique. L'OTAN empêche aujourd'hui la majorité des Etats européens de se sentir concernés par leur défense. Il doit y avoir une prise de conscience rapide: la défense en Europe devra être le fait exclusif des Européens.
Vous avez récemment rappelé plusieurs principes stratégiques essentiels devant la Commission des affaires étrangères et de la Défense du Sénat dont celui-ci, énoncé par Clausewitz: «il ne faut pas faire le premier pas sans envisager le dernier.» Quelle stratégie de sortie est envisageable pour les opex africaines? En quoi sont-elles marquées par le syndrome de «Sisyphe guerrier»?
Nous n'arrivons pas à sortir des opérations extérieures en Afrique parce qu'il y a rarement des forces africaines - qu'elles soient nationales ou panafricaines - pour prendre le relais. Il est nécessaire pendant encore de nombreuses années de participer directement à la défense de la sécurité des pays africains tout en prenant part à la reconstruction des forces africaines dont on connaît, hélas, le peu d'efficacité opérationnelle sur le terrain.
La France ne peut pas échapper à ses responsabilités, elle ne peut pas abandonner l'Afrique. Si elle ne veut pas avoir à se réengager régulièrement sur des crises récurrentes et successives, elle doit s'engager fermement dans cette zone dont la sécurité relève pour une part importante de sa propre responsabilité.
Un des problèmes de l'armée française est qu'elle manque de profondeur stratégique. Les armées françaises ne sont jamais capables d'engager pour suffisamment longtemps des effectifs qui dépassent le cap de la bataille pour gagner la guerre elle-même.
Elles sont donc amenées de façon récurrente à s'engager, combattre, revenir car l'action n'est jamais menée complètement, jusqu'à son terme. L'exemple du Mali, de la Centrafrique et de Barkhane est net: il a fallu diminuer les effectifs de l'opération au Mali pour armer l'opération Sangaris, puis désarmer Sangaris pour projeter des forces dans le Sahel, les djihadistes venant se ré-emparer immédiatement d'Adrar des Ifoghas libéré par l'armée française en 2013. Parce qu'elle n'a pas les moyens des missions qu'on lui donne, l'armée française, qui est une armée d'excellence, ne parvient qu'à des résultats tactiques trop ponctuels pour réaliser sur le long terme un résultat stratégique performant. L'effort fait par le président de la République le 29 avril pour renforcer le budget des armées est significatif mais très largement insuffisant.
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