Les Européens veulent encore croire à la diplomatie avec le maître du Kremlin. Mais les Américains sont tentés par la manière forte. Dilemme.

 

"La méthode des Russes est toujours la même, dit Franz Seldmeyer, un entrepreneur bavarois : enfoncer le même clou pendant si longtemps que tout le monde abandonne." Monsieur Seldmeyer connaît bien la Russie et mieux encore Poutine, son chef actuel, qu'il a pu côtoyer du temps où il était maire adjoint de Saint-Pétersbourg. L'entreprise de sécurité qu'il avait créée en Russie était en affaires avec la ville. Et les relations entre le Bavarois et le futur satrape russe étaient au beau fixe jusqu'à ce que son entreprise soit, du jour au lendemain, expropriée et lui-même accusé, par son ami de la veille et sans aucun motif valable, de corruption, d'escroquerie et d'évasion fiscale. Franz Seldmeyer a fait un procès à l'État russe. On a tout essayé pour le faire lâcher prise : procédures à rallonge, humiliation, menace. Il a tenu bon et vient, au bout de vingt ans, d'être indemnisé de plusieurs millions de dollars.

 

Avec Poutine, il ne faut jamais abandonner, confie l'entrepreneur allemand au New York Times venu l'interroger à la veille des négociations de Minsk sur le sort de l'Ukraine. "La Russie respecte seulement le langage de la force. Rien d'autre ne marche."

 

"Un risque de guerre totale à 3 heures de Paris" (Fabius)

 

Les conversations d'Angela Merkel avec Barack Obama, juste avant qu'elle ne rejoigne François Hollande, Petro Porochenko et Vladimir Poutine en Biélorussie, illustrent bien le dilemme des démocraties occidentales pour amener l'autocrate russe à cesser une agression, dont il nie jusqu'à l'existence.

 

La chancelière allemande a tenté de convaincre son interlocuteur américain que l'initiative diplomatique franco-germanique devait être soutenue sans ambiguïté ni réticence parce qu'elle était peut-être la dernière chance d'éviter une escalade dangereuse en Europe, "un risque de guerre totale à 3 heures d'avion de Paris", comme l'a dit Laurent Fabius à l'Assemblée nationale. Le président américain lui a répondu qu'avec Poutine les démarches diplomatiques étaient, au mieux, des parenthèses de quelques jours avant de relancer l'assaut. Ce qui l'incitait à examiner avec attention les propositions de son secrétaire à la Défense, Ash Carter, et d'une bonne partie des membres de l'Otan de fournir des armes à l'armée ukrainienne pour résister à l'inexorable poussée des pro-Russes.

 

Au-delà des critiques anglo-saxonnes accusant Hollande et Merkel d'agir avec le président russe comme Daladier et Chamberlain avec Hitler dans les années 30, la vraie question est de savoir quelle tactique adopter en fonction de ce qu'est réellement Poutine. La méthode musclée américaine ou la pression diplomatique à l'européenne ?

 

Complexe d'encerclement

 

Selon un politologue américain, Robert Jarvis (auteur de Perception and Mis-Perception in International Politics), de deux choses l'une : si le président russe n'est qu'un nationaliste idéologue, cherchant les conquêtes et la puissance pour lui et pour son peuple et poursuivant coûte que coûte son rêve de recréer ne serait-ce qu'un semblant d'empire soviétique, alors la dissuasion militaire est la seule réponse.

 

Mais si on estime que la politique agressive de Poutine est le résultat de l'insécurité que le gouvernement russe ressent depuis la chute du mur de Berlin et de la tendance américaine à étendre son influence économique et surtout militaire jusqu'aux frontières de la Russie - et cela sans tenir aucun compte des affinités historiques, linguistiques et culturelles des pays voisins, comme c'est le cas avec l'Ukraine -, alors la réaction de Poutine ressemblerait plus au complexe d'encerclement, qu'a ressenti l'URSS des années Brejnev, qu'à une envie de conquête semblable à celle qu'ont pratiquée Staline ou même Hitler.

 

Et dans ce cas, précise Jarvis, il faut inlassablement privilégier la diplomatie et le compromis. La politique de dissuasion militaire, en effet, aggrave la situation parce qu'elle accroît encore le sentiment d'insécurité de l'autre et peut doper son ardeur à attaquer pour anticiper l'agression de ceux qu'il considère comme une menace.