C'est peu dire que les autorités en place à Kinshasa voient d'un mauvais oeil le Comité laïc de coordination. La réponse est dans le profil et les initiatives fortes de ses membres.
Le régime de Kinshasa les a dans le collimateur. La raison ? Les huit membres du Comité laïc de coordination (CLC) organisent des marches pacifiques pour exiger le respect intégral de l'accord du 31 décembre 2016, dit de la Saint-Sylvestre, signé entre le pouvoir et l'opposition sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Debout Congolais
En organisant ces marches, les membres du CLC – Thierry Nlandu, Isidore Ndaywel, Justin Okana, Jonas Tshiombela, Léonnie Kandolo, Gertude Ekombe, Julien Lukengu et Francklin Mboliko – ne font que répondre à l'appel lancé en juin 2017 par les évêques de la Cenco. « Le pays va très mal. Debout, Congolais ! », tel était l'intitulé du message des prélats qui invitaient le peuple congolais « à prendre en main son destin commun » et à « avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique »…
C'est d'abord un groupe du Centre d'information et d'animation missionnaire (CIAM), qui répondra à l'appel de l'Église, en lançant trois conférences-débats dans la capitale congolaise. La première s'est tenue le 27 octobre 2017 à la paroisse Saint-Joseph sur le thème « Décembre 2017, enjeux et défis ». Lors du troisième débat organisé à Ndjili, un communiqué du CLC invite les Congolais à marcher le 31 décembre. Le CLC est né et a lancé sa première marche. Il sera appuyé par la nonciature apostolique et la Cenco. Ce qui permettra au mouvement de s'étendre à travers les différents diocèses du pays.
Les premiers noms que les Congolais et les étrangers découvrent sont ceux qui signent les communiqués du CLC : Thierry Nlandu Mayamba, professeur de littérature anglo-américaine à la faculté des lettres de l'université de Kinshasa (Unikin), dramaturge et consultant, très actif dans la société civile, et le professeur Isidore Ndaywel E Nzyem, docteur en histoire et auteur notamment de L'Histoire du Congo, qui a été, entre autres, coordonnateur du comité scientifique du Commissariat général du cinquantenaire en 2010 et commissaire général du Comité national préparatoire du XIVe sommet des chefs d'État de l'Organisation internationale de la francophonie, en 2012. Les autres membres sont tous des intellectuels. Mais là n'est pas leur trait d'union essentiel.
Des laïcs chrétiens
« Quand le CLC se met en place, ses membres ont comme élément fédérateur leur appartenance à l'Église catholique, leur condition de chrétien. Ce sont tous des croyants catholiques qui se mettent ensemble pour répondre à un message des évêques. L'autre trait qui les rassemble est la laïcité. Ils se positionnent tous comme des laïcs », explique Thierry Nlandu. Ainsi, portés par la dynamique créée par l'appel de l'Église, les huit se regroupent pour former le CLC, qui « n'est pas un mouvement catholique, mais un mouvement de laïcs chrétiens », insiste Léonnie Kandolo, la fille de Damien Kandolo, qui fut commissaire sous Mobutu et le premier PDG congolais de la Générale congolaise des minerais (Gecomin), ex-Union minière du Haut-Katanga, qui deviendra la Gecamines.
C'est sur ce socle de laïcs chrétiens, mus par un profond désir de changement et voulant faire respecter l'accord de la Saint-Sylvestre, que la mobilisation populaire va s'ancrer. En effet, qu'ils soient catholiques, protestants, adeptes d'églises de réveil, musulmans ou kimbanguistes, et quelles que soient leurs convictions, tous les Congolais qui aspirent au changement, vont répondre massivement aux appels lancés par le CLC. Et comme « la flamme s'est allumée à partir des églises », il n'y a ni drapeaux de partis politiques ou d'associations, ni pancartes, ni messages politiques ou syndicaux pendant les marches qui ont lieu le dimanche matin après les offices.
Engagés dans des mouvements associatifs ou confessionnels
S'ils sont unis par leur qualité de laïc chrétien, les huit acteurs du CLC ne forment pas pour autant un groupe homogène. Leur parcours, leur profil professionnel, leur engagement et leurs qualifications sont très divers. Certains sont engagés dans des mouvements associatifs, d'autres dans des mouvements confessionnels. Pour preuve. Après avoir appartenu à des associations caritatives, Léonnie Kandolo a créé, en 2000, Protection Enfant Sida (PES). En tant que femme, cette analyste politique et consultante est membre d'associations féminines, dont le Cadre permanent de concertation de la femme congolaise (CAFCO). Elle s'investit aussi pour la transparence et la bonne gouvernance des industries extractives et, parce que rien n'est possible sans démocratie, elle est l'un des rédacteurs du Manifeste du citoyen congolais Esili, signé à Paris en août dernier, dont elle est membre du comité directeur.
Également active dans la société civile, Gertrude Ekombe est secrétaire générale de l'ONG Forum d'appui aux femmes pour l'éducation et le développement dans la province de l'Équateur. Elle a occupé des responsabilités au sein du Conseil national des ONG de développement de l'Équateur et de Kinshasa etété déléguée au Dialogue intercongolais de Sun City (Afrique du Sud) pour la composante société civile.
Les hommes ne sont pas en reste. Activiste sociopolitique depuis près de trente ans, producteur d'outils didactiques d'animation sur la démocratie et les élections, conférencier et formateur, Thierry Nlandu fut, en 1992, l'un des animateurs de Amos, un groupe de chrétiens qui fut à la base de la marche des chrétiens du 16 février 1992 pour exiger la reprise de la Conférence nationale souveraine (CNS). Isidore Ndaywel, qui a participé à cette marche, a, pour sa part, présidé la commission culture de la CNS.
Membre du réseau Southern African People's Solidarity Network (SAPSN) et coordonnateur national de la plateforme citoyenne Nouvelle Société civile congolaise, Jonas Tshiombela Kabiena se consacre plus spécialement aux questions de gouvernance électorale, de promotion de la culture démocratique et de participation citoyenne. Il gère deux projets portant sur ces questions dans trois provinces de RDC. Et vient de publier un ouvrage intitulé « Compétition électorale : pistes et stratégies de conquête de l'électorat ».
C'est dans les mouvements confessionnels qu'évolue frère Julien Lukengu. Licencié en management et administration publique, il est l'un des leaders du Renouveau charismatique en Afrique. Parcours semblable de Franklin Mbokolo Nsepe. Ce licencié en administration publique, section économie financière et diplômé de l'École pour la foi et l'évangile des Facultés catholiques du Congo, Mbokolo est secrétaire diocésain du Renouveau charismatique catholique de l'archidiocèse de Kinshasa et membre du comité national de cette organisation.
Des parcours professionnels divers
Les parcours professionnels des membres du CLC sont également divers. Certains ont évolué dans le monde de l'entreprise, d'autres ont occupé des fonctions ministérielles ou dans l'administration tandis que d'autres encore ont géré des institutions ou des projets. Professeur à la Faculté d'économie et développement de l'Université catholique du Congo, dont il fut aussi le doyen, et à la faculté des sciences économiques et de gestion de l'université de Kinshasa, où il fut chef du département de l'économie appliquée, Justin Okana a été directeur commercial, puis directeur des études et stratégies à la Régie des voies (RVA), avant d'assumer les fonctions de coordonnateur du comité de redressement de l'entreprise et d'administrateur directeur général de la RVA. Le monde de l'entreprise, Léonnie le connaît également pour avoir travaillé à Sozacom et dirigé Impaza, devenue Impaco, une imprimerie qui employait quelque 120 travailleurs.
Parmi ceux qui ont eu des responsabilités dans des ministères figurent Julien Lukengu, ancien coordonnateur de la cellule d'études et de reconstruction au cabinet du ministre des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction, avant d'être conseiller à la présidence, ainsi que Mbokolo Nsepe, chef de division au ministère des Transports et Voies de communication, et syndicaliste. Ex-député à l'Assemblée nationale et vice-ministre au Commerce extérieur pendant la transition, Gertrude Ekombe Ndjoli a été administrateur de l'Institut congolais pour la conservation de la nature. Outre des responsabilités dans des cabinets ministériels, Ndaywel a été directeur général de la Bibliothèque nationale et membre du conseil d'administration de l'Institut des musées nationaux. Nlandu, pour sa part, a exercé plusieurs fonctions dans la gestion universitaire et dans des ONG internationales en tant que chargé de programme.
Un effet miroir
Loin d'être un handicap, ces différences de parcours et de qualifications font la force du CLC. Par leur diversité, les membres du CLC sont complémentaires. Du coup, un équilibre s'établit entre eux. « Au sein du Comité, chacun a son travail. Les uns sont plus tournés vers l'écrit, d'autres vers la stratégie, l'action de terrain ou les contacts diplomatiques. Quand il s'agit de mobiliser les points focaux, les professeurs n'ont pas nécessairement d'expérience dans ce domaine alors que ceux issus du monde associatif ou confessionnel savent ce qu'il faut faire », commente Nlandu.
Cette diversité a un autre avantage. Tout un chacun peut en effet se reconnaître dans le parcours de vie et l'engagement d'un membre du CLC. Mais, au-delà de l'effet miroir, les Congolais découvrent des gens qui s'engagent non pour eux-mêmes, mais pour changer les choses. Des gens qui mènent des actions et ne se contentent pas de paroles. Et qui prennent des risques pour eux-mêmes et pour leurs proches. Les Congolais comprennent par ailleurs que les problèmes du Congo concernent tout le monde, au-delà des différences personnelles.
Créé à Kinshasa, le CLC a élargi ses actions à d'autres villes. La première marche a eu lieu à Kinshasa. La deuxième s'est étendue à d'autres diocèses et la troisième a appelé à une mobilisation dans tout le pays. Une pause a ensuite été observée, en raison des dégâts et des morts, notamment lors de la marche du 31 décembre 2017, violemment réprimée par les forces de l'ordre, qui a 7 morts par balle, 127 blessés et plusieurs interpellations. De toute façon, l'action du CLC, qui prône des actions non violentes, s'inscrit dans la durée. « On ne peut pas défricher une forêt en un seul coup de pioche, disait ma mère. C'est un système installé depuis longtemps. Pour le changer, cela prendra du temps », précise Nlandu.
Oser et agir
Si beaucoup reste à faire pour mobiliser davantage de Congolais autour des grands enjeux démocratiques du pays, toutefois, à la suite des actions engagées, des changements sont déjà perceptibles. Ainsi, le regard que les Congolais ont d'eux-mêmes et celui que le monde extérieur a d'eux se sont modifiés. Les Congolais ont montré qu'ils n'acceptaient pas tout et qu'ils pouvaient se battre. Cette dynamique a eu un impact sur la diaspora, qui s'est reconnue dans cette initiative.
Autres acquis, celui d'avoir ôté la peur, qui n'est plus du côté de la population, mais du pouvoir en place. Et d'avoir montré à la population que, si l'on n'ose pas, rien ne changera. Fini les remarques attentistes du genre « que fait ou que dit la communauté internationale ? » Laquelle, par ailleurs, prend mieux la mesure de la mobilisation populaire. C'est en effet à la suite des marches, que le Conseil de sécurité de l'ONU a été pris la résolution 2409/2018, plus contraignante par rapport au régime en place et au processus électoral.
Les actions initiées par le Comité font des émules. Récemment, des étudiants de l'Unikin ont protesté contre l'augmentation du prix du transport. À Goma, une pétition initiée par la société civile circule contre le découpage du Nord-Kivu. D'autres types de mobilisation suivront. Sur ce plan, le CLC ne cherche pas à avoir un leadership quelconque. Ce qui lui importe, c'est que les Congolais se mettent debout. « Nous ne pourrons gagner notre combat que si d'autres prennent des initiatives », souligne Nlandu.
Certains voient dans le CLC le précurseur d'une nouvelle classe politique. Telle ne semble pas être l'ambition de ses membres. Ces derniers s'attachent plutôt à créer les conditions qui permettront d'instaurer une véritable démocratie et « donneront alors à chaque parti les mêmes chances en période électorale », signale Léonnie Kandolo.
Un nouveau leadership
Tout porte à croire que les graines du changement semées par le CLC vont donner d'autres fruits. Les transformations à venir toucheront plusieurs pans de la société congolaise. Y compris l'Église dont les pasteurs pourraient être amenés à modifier leurs rapports avec leurs paroissiens. « Avec un laïcat qui prend autant de responsabilités dans les paroisses, qui y déclenchent les marches et poussent même des prêtres à s'engager sur ce plan, une nouvelle Église est en train d'émerger. Une Église de partenaires, et non plus de pasteurs entourés de leurs brebis », indique Nlandu. Dans la cité, le mode de gestion des rapports entre le pouvoir et les citoyens n'échappera pas à la donne. Il suffit que l'espace démocratique s'ouvre et que les dirigeants comprennent que ce n'est pas par la violence que l'on gère un pays et son peuple.
Impulsé par l'Église et le CLC, un nouveau leadership est en train de prendre forme. Fini le leadership charismatique, centré sur une personnalité emblématique. Place au leadership participatif dans chaque lieu de vie. « Chaque milieu a ses problèmes spécifiques qu'il doit résoudre. Mais, quel que soit le lieu où l'on se trouve, l'esprit doit rester le même pour tous. C'est au nom d'une nation, d'un pays, d'une Constitution et d'un idéal que l'on doit bâtir des leaderships. Là où il est, le Congolais qui agit pour les changements construit une petite partie de la République », martèle Nlandu.
La dynamique populaire qui s'impose en RDC est inédite en Afrique centrale. Elle commence toutefois à inspirer des vocations. Au Congo voisin, réunis en session extraordinaire à Brazzaville début mai dernier, les évêques ont encouragé les laïcs à s'engager par des actions citoyennes pour bâtir et consolider la démocratie et l'État de droit et à ne pas avoir peur d'aller à la rencontre des autres et de discuter avec respect et tolérance de l'avenir du pays.