REPORTAGE. Alors que le président Kabila a voté très tôt ce 30 décembre, l'atmosphère était loin d'être sereine à la veille de ce scrutin capital. Retour sur les événements et constats majeurs notés ici et là.
Après sept ans d'attente, les Congolais sont enfin convoqués aux urnes pour des élections majeures à tous les niveaux. Ce dimanche 30 décembre est à tous égards un jour spécial, même si les Congolais et les observateurs attendent de pouvoir en apprécier la vraie saveur. L'explication réside dans le fait que les inquiétudes concernant l'organisation de ces élections sont bien présentes dans les têtes des uns et des autres. Premier constat, l'ouverture des bureaux de vote a eu lieu très tôt (5 heures GMT) dans l'ouest du pays, mais aussi à Kinshasa, capitale du plus grand pays d'Afrique subsaharienne, sur un territoire s'étendant sur deux fuseaux horaires.
Kabila et Shadary ont voté très tôt
Le président congolais sortant Joseph Kabila a voté tôt dans la matinée, en même temps et au même bureau que son « dauphin » et ex-ministre de l'Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary.
Le président Kabila et le candidat du Front commun pour le Congo (FCC, coalition du pouvoir) étaient parmi les rares électeurs présents au centre de vote de l'Athénée, dans le quartier de la Gombe à Kinshasa, loin de la forte affluence prévue dans les 14 autres bureaux de vote du secteur. En votant avec sa femme et sa fille, le président Kabila a croisé le porte-parole et secrétaire général de la puissante Conférence épiscopale (Cenco), qui a entendu déployer 40 000 observateurs dans tout le pays pour superviser les opérations de vote à haut risque.
Les problèmes logistiques résolus ?
Une chose est sûre : à la veille du jour J, tout était loin d'être réglé. D'un bureau de vote à un autre à Kinshasa, le premier constat a été que les problèmes liés à la logistique sont toujours là, notamment en ce qui concerne les kits électoraux. De quoi s'interroger sur l'impact de tout cela sur le bon déroulement des scrutins. De la commune de Ngaba, à l'est de Kinshasa, en passant par la commune de Limete, au centre, jusqu'à la commune de Ngaliema, au sud-ouest, les kits électoraux semblaient ne pas être au grand complet à moins de 24 heures de la tenue du scrutin. Les très contestées machines à voter n'étaient toujours pas visibles dans les centres de vote. « Les machines avec l'incendie de l'entrepôt de la Ceni ont connu de petits retards, mais la hiérarchie nous a assuré qu'elles nous arriveraient dans la soirée », a fait savoir Blanchard Mayika, agent d'un centre de Ceni dans la commune de Ngaba. Dans une telle atmosphère, Aline Nzofu, une jeune entrepreneure dans la commune de Limete, a exprimé son ras-le-bol en déclarant : « Ces élections augurent les violences et nous craignons le pillage de nos marchandises. » « Comment allons-nous voter avec des machines que nous ne maîtrisons pas ? » s'est interrogé Flavien Mbesa, un retraité de 70 ans originaire du quartier Lalou dans la commune de Ngaliema.
Présence policière renforcée
Quant à la police, les hommes en uniforme sont déjà sur le pont en quadrillant la ville de Kinshasa, mais avec une présence bien plus importante dans les entrées des centres de vote. Dans un communiqué, le colonel Pierrot Mwanamputu, porte-parole de la police, a demandé à la population de ne pas « paniquer face à la présence des agents de l'ordre ». Et d'ajouter quand même que « les forces de l'ordre se débarrasseront de toute personne qui, après avoir rempli son devoir civique, traînerait dans les bureaux de vote ». En face, le candidat de la coalition Lamuka, Martin Fayulu, a, au cours de son message tard dans la soirée du samedi, demandé à ses électeurs d'être « garants du bon déroulement de ces élections mal organisées en restant dans le bureau, en photographiant les PV et en communiquant les éventuels incidents ». On voit d'ici que des frictions seront difficilement évitables entre les forces de l'ordre, qui veulent faire place nette très vite dans les bureaux de vote, et les citoyens, qui veulent être là pour être sûrs que des fraudes ne sont pas mises en œuvre.
Un fait peu habituel : un président Kabila prolixe
En tout cas, un autre événement a d'ores et déjà retenu l'attention de tout un chacun. Reconnu au pays pour son mutisme légendaire, le président Kabila, en fin de mandat constitutionnel depuis 2016, a surpris les Congolais cette dernière semaine en accordant des interviews aux médias, notamment étrangers. Cerise sur le gâteau : il a adressé un message à la nation le samedi 29 décembre 2018 sur les antennes de la télévision d'État. Le président sortant Joseph Kabila s'est érigé en fervent défenseur de son bilan au pouvoir seize ans durant. Optimiste sur le bon déroulement des scrutins sur toute l'étendue de la République, il a défendu la décision de la Ceni d'exclure momentanément Beni, Butembo et Yumbi des scrutins. Ce qui ne l'a pas empêché de dire que seule la Ceni a compétence pour publier des résultats conformément à l'arsenal juridique congolais dûment reconnu par toutes les parties prenantes du processus. Pour boucler le tout, il a annoncé des mesures de grâce pour certains prisonniers politiques dans les heures qui vont suivre.
Négociations ardues sous la houlette de la SADC
Sur un autre terrain lié aux différents scrutins, il y a lieu de noter que la mission d'observation de la Communauté de développement de l'Afriqe australe (SADC) a tenté en vain de faire signer aux parties prenantes du processus électoral du 30 décembre, et ce, depuis le vendredi 28 décembre, un « code de bonne conduite ». La coalition Lamuka, qui soutient Martin Fayulu, et le Cap pour le changement (CACH) de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se sont dits prêts à signer l'acte d'engagement de bonne conduite proposé par la SADC, mais à condition que leurs amendements soient pris en compte. C'est en tout cas ce qu'a déclaré Martin Fayulu au sortir ce 29 décembre de la réunion tripartite entre la SADC, la Ceni et les candidats à la présidence de la République. « CACH et Lamuka, nous sommes prêts à signer le document, mais avec les amendements. Nous devons signer un seul document reprenant les engagements des candidats présidents de la République et ceux de la Ceni. La Ceni ne peut pas se dérober. J'ai dit à la SADC que la Ceni, dans cette situation, c'est la partie prenante qui a 80 % de responsabilité. Nous disons à la SADC que nous sommes prêts à revenir ici à 19 heures pour signer un document amendé », a indiqué Martin Fayulu.
Messe œcuménique en faveur de la paix en RDC
Ce samedi 29 décembre, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l'Église du Christ au Congo (ECC) ont organisé en la cathédrale Notre-Dame du Congo de Kinshasa un culte œcuménique en faveur de la paix en RD Congo. Cela s'est fait en présence des parties prenantes de ce processus électoral, dont des candidats à la présidentielle ou leurs représentants, des ambassadeurs accrédités à Kinshasa et plusieurs personnalités religieuses éminentes. Dans leurs exhortations, les chefs spirituels de ces deux Églises ont insisté sur la paix comme condition sine qua non du vivre-ensemble.
Si le chef spirituel de l'Église protestante luthérienne, le révérend Dr André Bokundoa, s'est contenté de formuler quelques recommandations aux parties prenantes du processus électoral, l'archevêque de Kinshasa qui représentait l'Église catholique n'a pas manqué de critiquer le pouvoir en des termes rudes. Mgr Fridolin Ambongo s'est insurgé contre certains compatriotes qui, selon lui, « donnent l'impression de vouloir tenir la République démocratique du Congo en otage sous les joutes de la provocation, de la violence, de l'insécurité, du pillage des ressources naturelles ». Et d'ajouter des propos concernant les épidémies : « Cela ne pourra jamais profiter au peuple congolais, si ce n'est à certains de nos compatriotes sans scrupules, dépourvus de sens de la dignité humaine, semeurs de la désolation », a-t-il conclu.
La Cenco promet une vigilance de tous les instants
Un peu plus tard dans la soirée, la Cenco, par le truchement de son secrétaire général, a annoncé qu'elle suivrait de près le déroulement des scrutins de ce 30 décembre en publiant une série de communiqués au gré de la situation qui se présentera étant donné qu'elle dispose de la plus grande mission d'observation à travers le pays, où 41 026 de ses observateurs seront déployés. Remarquable fait de ce jour : la présence au cours de cette célébration de l'ambassadeur de l'Union européenne, Bart Ouvry, censé quitter Kinshasa ce samedi 29 décembre 2018.