L'homme aime son image. À la seconde où il entre sur la scène de la conférence CA World à Las Vegas mardi, Earvin "Magic" Johnson descend les marches qui le séparent du public et arpente les allées pendant de longues minutes, prenant des "selfies" avec autant de monde que possible. "All right, all right ! Ils ont dit que je pouvais prendre mon temps", s'amuse-t-il. Au micro, il commence à raconter son histoire de superhéros du basketball, alors que les techniciens lui demandent désespérément de remonter sur scène, via les prompteurs géants installés au fond de la salle (voir photo). Le parterre de geeks, réunis par le fournisseur de services informatiques CA, est sous le charme.
"J'ai gagné toutes les compétitions possibles", assène l'ancien leader de la "Dream Team", l'équipe de basket des États-Unis, qui a fait de ce sport un phénomène mondial, avec notamment Michael Jordan et Larry Bird. "Personne ne croyait que je pouvais faire gagner mon lycée, personne ne croyait que je pouvais faire gagner mon université !" se souvient-il. Et pourtant, il a réussi. Y compris après sa carrière, arrêtée brutalement en 1992 après l'annonce de sa séropositivité : il s'est construit un empire financier, grâce à l'ouverture de cafés Starbucks notamment. Magic Johnson est aujourd'hui le seul investisseur à posséder des Starbucks, outre l'entreprise elle-même.
Comment a-t-il fait ? Il est simplement allé voir le tout-puissant patron Howard Schultz pour lui demander l'autorisation d'ouvrir des Starbucks dans les quartiers défavorisés. "Je ne veux pas d'une franchise, je veux être votre partenaire, j'ai besoin de vous et du café que vous servez", lui explique-t-il. Pas convaincu ? Qu'à cela ne tienne : le sportif emmène l'homme d'affaires voir un film au cinéma du quartier, dans l'un des Magic Johnson Theatres qu'il a construits avec le soutien de Sony Pictures.
"Cinq minutes après le début du film, tout le monde était en train de hurler sur l'écran, d'encourager les acteurs, de commenter chaque action", se souvient le sportif. "Magic, je ne suis jamais allé au cinéma comme ça", lui répond l'homme d'affaires, qui se dit alors que, tout comme le cinéma, le Starbucks peut être adapté à sa cible. Et le deal est conclu.
"Les Américains issus des minorités ne paieront jamais 3 dollars pour un café !" sermonnent alors les experts. "Bien sûr que si !" répond Magic Johnson, à qui le temps a donné raison. "En revanche, dans ces quartiers, on ne sait pas ce qu'est un scone !" ajoute-t-il, sous les rires de l'audience de CA World. "J'ai dû virer les scones de mes Starbucks, et aussi la musique pourrie que vous, dans les quartiers riches, vous devez supporter", poursuit-il. "Je l'ai remplacée par de la musique que les populations cibles aiment bien !" explique-t-il.
"La leçon de tout cela, c'est que je connais mes clients. Vous devez savoir à qui vous vendez, c'est primordial. J'ai été le seul à investir dans l'Amérique pauvre alors que personne ne le faisait", explique Magic Johnson. "Et grâce à mon contrat avantageux... ouuuw, je suis devenu riche !" se félicite-t-il.
Plus que riche, même : l'homme ouvre en quelques mois plus de cent franchises Starbucks. Il en vend une grande partie en 2012, pour diriger le groupe d'investisseurs qui rachète l'équipe de baseball des Dodgers de Los Angeles, pour la bagatelle de deux milliards de dollars. Oui, deux milliards. "Je n'aurais jamais pensé que je serais un jour propriétaire d'une équipe de baseball !" commente-t-il.
"Pour réussir, vous devez vous remettre en question. Deux fois par an, je fais une évaluation complète de mon business. Pas une fois par an, deux fois par an ! Et croyez-moi, l'auto-évaluation est difficile, surtout si vous vous rendez compte que vous faites du mauvais boulot", explique Magic Johnson, en précisant que s'il est vital de continuer à investir, cela ne suffit pas.
"Le propre des champions, c'est de savoir ce dont ils ont besoin pour gagner", résume-t-il. "Vous voulez savoir comment réussir ? Fournissez plus que ce que stipule votre contrat. On vous commande 10 ? Livrez 20. Dépassez le contrat de vos clients, et ils vous le rendront. J'ai obtenu des contrats avec beaucoup de compagnies aériennes comme ça !" assure-t-il. Et accessoirement, l'homme a obtenu des contrats de restauration avec quarante géants, dont Disney World, réputé terriblement dur en affaires.
"Parfois, il faut défendre ce qui est juste. Newsweek a appelé un jour : ils voulaient mettre ma photo et celle de Michael Jordan en une. Je leur ai dit : si Larry Bird n'est pas sur la couverture, je n'y serai pas non plus. Parce que cet homme a contribué autant que moi au succès du basketball", se souvient Magic Johnson. "Et parfois, votre adversaire vous rend meilleur. Larry Bird [son grand rival en NBA, NDLR] a fait de moi quelqu'un de meilleur, à la fois comme sportif et comme individu. Même si je le détestais, parce qu'il était tellement bon !" se remémore-t-il encore.
"La leçon la plus difficile de ma vie de businessman ? C'est quand je me suis lancé. Je suis allé voir dix banques différentes, car j'avais besoin d'argent pour commencer. Mon business plan était bon, tout était prêt, mais les banquiers ne voulaient que mon autographe et ma photo. Ils ne voulaient pas investir. La onzième banque a été la bonne, et tout a décollé", se souvient-il.
"Est-ce que j'ai un jour douté de mes capacités ? Pas une seconde ! Ce que j'ai appris sur les terrains de basket, je l'ai toujours en moi. Je suis toujours un gagnant, je me lève à 4 heures du matin tous les jours, je fais du sport pendant deux heures et je passe le reste de la journée au bureau. Mon boulot, c'est aussi de rendre mes employés meilleurs, de les mettre en position pour qu'ils soient des vainqueurs. Je ne suis jamais en retard, je suis un professionnel et un perfectionniste. La préparation est la clé. Si je suis préparé, je sais tout", assure l'homme sans sourciller.
Une position inverse de celle du cofondateur de Twitter, Biz Stone, qui expliquait la veille à la même conférence que "si vous pensez que vous savez tout, vous êtes probablement foutu".
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