REVUE DE PRESSE. Quotidien difficile, avenir obstrué, renchérissement du coût de la vie : les étudiants et les citoyens lambda ont décidé de se faire entendre.
C'est dans un lycée déserté, où les résidus de gaz lacrymogènes piquent encore les yeux et où le mât flanqué de la bannière tchadienne jonche le sol, que nous emmène le site d'info tchadien Alwihdainfo.com. Son reportage s'intitule « Tchad : atmosphère post-violence, élèves et professeurs asphyxiés et drapeau arraché », et se déroule au lycée de Walia, dans la capitale tchadienne N'Djamena. Si cet établissement est vidé de ses occupants et offre un tel spectacle de désolation, avec « ses douilles de gaz dans la cour » et ses « quelques motos et vélos abandonnés par les élèves », c'est parce qu'il a gardé portes closes ce jeudi 2 mars, en signe de protestation contre la violence policière qui a pénétré dans ses murs la veille.
Au Tchad, la révolte des étudiants
La proviseur a été hospitalisée à la suite de jets de gaz lacrymogènes, et « plusieurs lycéens sont tombés, évanouis dans la cour », note le site d'infos. Sur Twitter, on mentionne la mort d'un élève, mais l'information n'est pas confirmée. Dans un autre article, Alwihdainfo précise que 41 jeunes ont été interpellés et qu'une commerçante aurait été tuée.
Cet épisode de confrontation violente entre les forces de l'ordre et des élèves s'inscrit dans une crise sociale profonde, qui déborde depuis des mois dans les milieux estudiantins. Le 31 janvier, le malaise se manifestait devant l'Assemblée nationale. On pouvait y voir une centaine de jeunes brûler leurs diplômes. Tout un symbole. Entre de longues études perçues comme inutiles, un sentiment d'abandon, ou la frustration engendrée par la « rareté de l'emploi », ils exprimaient par cet acte marquant leur désarroi.
69 étudiants condamnés à la prison ferme
Les étudiants sont particulièrement remontés contre les mesures d'austérité conduites au Tchad dans un contexte de chute des cours du pétrole, et partant, des revenus de l'État. Outre le fait qu'elle ne favorise pas les perspectives d'emploi, cette rigueur économique s'est traduite l'année dernière par la suppression des bourses d'études.
Samedi 25 février, alors qu'une visite sur un campus du ministre de l'Enseignement supérieur tchadien et de son homologue sénégalais constitue une nouvelle occasion de dire le ras-le-bol, la situation dégénère. Des étudiants s'emportent, huent le responsable politique, caillassent les voitures officielles. La police intervient et la sanction ne tarde pas à tomber. 69 étudiants sont condamnés mardi 28 février à un mois de prison ferme pour « outrage à l'autorité de l'État ».
Nouveaux mouvements de grève
Se voulant une marque de soutien à ces étudiants incarcérés, le mouvement de contestation qui a éclaté devant le lycée de Walia mercredi 1err mars faisait suite à une assemblée générale de l'Union nationale des étudiants tchadiens (UNET). Le Pays Tchad décrit l' « ambiance surchauffée » qui y règne alors, ponctuée des cris « libération », de coups de sifflet, et où chacun veut prendre la parole. Le mouvement syndical dénonce l'incarcération abusive d'étudiants, dont la culpabilité n'a pu être établie, et exige leur libération. Décision est prise de suspendre les cours dans les universités tchadiennes. Dans le même temps, indique Le Pays Tchad, le mouvement citoyen Iyina, créé l'année dernière à quelques mois de la présidentielle, condamne une « parodie de justice » et appelle les étudiants tchadiens « à se lever comme un seul homme ». La situation sociale pourrait donc s'envenimer, après que le pays a été plongé dans un mouvement de grève de près de cinq mois dans la fonction publique, pour protester contre l'austérité et des arriérés de salaires – la grève avait pris fin le 13 janvier dernier.
Togo : des émeutes contre la vie de plus en plus chère
À Lomé, capitale du Togo, tout est parti d'une augmentation des prix des carburants, vécue ce mardi 28 février comme une douche froide par les consommateurs. À la pompe, le super affichait 524 francs CFA contre 476 francs CFA la veille, le gazole grimpait à 526 francs CFA au lieu de 478 francs CFA, et le mélange deux-temps passait quant à lui de 579 francs CFA à 623 francs CFA. Cette nouvelle flambée des prix des carburants – qui totalisent plus de 20 % d'augmentation en deux mois –, « les Togolais ne l'ont pas du tout vue venir », nous dit IciLomé . « Trop c'est trop, comment peut-on encore augmenter les produits pétroliers ? » « Ils veulent nous tuer dans ce pays », entend-on çà et là », rapporte-t-il.
Le portail d'infos togolais décrit la tension ambiante, ce mardi en divers points de la capitale. « Au moment où certains conducteurs de taxi-moto, communément appelés zemidjans, manifestent leur désapprobation quant à la nouvelle hausse du prix des produits pétroliers, les chauffeurs en font de même au carrefour Gta et Deckon. (…) Le carrefour Deckon s'embrase. Malgré la présence d'un officier de police qui tente de calmer les chauffeurs de taxi, ces surchauffés n'entendent pas raison », décrit IciLomé. Des barricades sont érigées, la circulation est bloquée à certains endroits de la capitale, un bus est même incendié. Bref, « il y a de l'électricité dans l'air », conclut IciLomé.
Colère contre un président qui a fait campagne sur le bien-être social
Un peu plus tard, alors que la grogne s'élargit aux automobilistes et à de simples consommateurs, et que des partis d'opposition appellent le gouvernement à revenir sur cette mesure, la situation dégénère. Un manifestant est tué, et on dénombre plusieurs blessés, y compris chez les forces de l'ordre. Le gouvernement réagit en publiant un communiqué. Il justifie sa décision, renvoie à la fluctuation des cours mondiaux du pétrole. Mais il insiste surtout sur les subventions accordées aux produits pétroliers, « qui ont dépassé 2 milliards de francs CFA pour les deux premiers mois de l'année ». Soit une fin de non-recevoir pour ceux qui s'indignent contre la cherté de la vie.
« Le mandat social de Faure Gnassingbé est très difficile à vivre », titre IciLomé dans un autre article. « Réélu dans des conditions contestables en avril 2015, Faure Gnassingbé a placé son troisième mandat sous le sceau du social, du mieux-être, de meilleures conditions de vie. Sauf que dans les faits, aucun signe n'est visible. Il est difficile de vivre dans le pays des Gnassingbé aujourd'hui. La majorité des populations, en dehors de la minorité au pouvoir et de leurs courtisans, a un quotidien précaire. Presque tous les secteurs d'activité sont en crise. Depuis le début de la rentrée, le déroulement normal des cours est paralysé à cause des mouvements d'humeur des enseignants du primaire et du secondaire des établissements publics. Ces enseignants réclament de meilleures conditions de vie et de travail », dépeint le site d'info. Et d'affirmer : « La vie des Togolais est plus difficile qu'avant. »
Un scénario à la tunisienne ?
Le Togo est un pays où les ressentiments sont « très profonds », du fait « de l'incurie et des turpitudes des gouvernants », analyse Le Pays. Pour le journal burkinabè, le fait que le gouvernement n'envisage pas de revenir sur sa décision peut créer une situation explosive : « des émeutes de ce genre peuvent mener très loin », alerte-t-il. Il revient sur les quatre semaines de sit-in et manifestations qui, en Tunisie, ont lancé la révolution, et chassé du pouvoir le président Ben Ali. « C'est le sort réservé à tous les dictateurs qui ne savent pas lire les signes des temps, préférant se claquemurer dans leur tour d'ivoire. C'est pourquoi le président Faure Gnassingbé doit faire preuve de clairvoyance ; lui qui, on le sait, est considéré comme le mouton noir de la démocratie dans la sous-région ouest-africaine qui se débarrasse petit à petit de ses dictateurs », peut-on lire dans Le Pays.
Autres images de pneus brûlés, autre vent de mécontentement estudiantin du côté de Brazzaville, au Congo, où les étudiants de la faculté de lettres et de sciences humaines de l'université Marien-Ngouabi – le seul établissement d'enseignement supérieur public du pays – ont entamé ce lundi 27 février leur deuxième semaine de grève. La rentrée universitaire, cet automne, avait déjà été marquée par plusieurs semaines de grève. Comme au Tchad, les revendications des étudiants portent sur les bourses d'études. Ces allocations n'ont pas été versées pour le 4e trimestre 2016, et la campagne d'attribution des bourses 2017 n'a pas encore commencé. Selon nos confrères de RFI, 15 000 étudiants sont concernés sur les 33 000 inscrits.
Ces divers mouvements sociaux interviennent dans des pays qui ont subi de plein fouet la chute des cours mondiaux du pétrole. Au Congo, cette ressource contribue par exemple à hauteur de 70 % aux revenus de l'État. Mais au-delà du tour de vis budgétaire opéré par ces trois États, les revendications des protestataires reflètent un malaise qui dépasse le simple cadre de la crise économique. Sur le plan politique, les dirigeants de ces trois pays s'illustrent par leur longévité au pouvoir (49 ans pour le clan Gnassingbé, 37 ans pour D. Sassou Nguesso, 26 ans pour Idriss Déby) et par des réélections en 2015 et 2016 controversées, et organisées dans un contexte, déjà, d'ébullition sociale. À cette usure d'un même système politique s'ajoutent les difficultés à faire entendre sa voix, comme l'illustre l'actualité de ces derniers jours. La presse privée tchadienne pointait aussi ce jeudi 2 mars le recul de la liberté de presse. Elle dénonce dans un communiqué les restrictions imposées à la presse indépendante, et le harcèlement dont sont victimes certains journalistes. À Brazzaville, le rapport 2016 que vient de publier de l'Organisation congolaise des droits de l'homme (OCDH) s'inquiète du sort des opposants incarcérés ou de la situation dans la région du Pool, sous état d'urgence depuis la présidentielle de mars 2016. Il note une « régression totale » sur le plan des droits de l'homme ces douze derniers mois.