Avec la multiplication des conflits armés à travers le monde et la montée du terrorisme, des milliers d’enfants continuent chaque année d’être embrigadés dans des forces ou des groupes armés.
Selon les estimations des Nations unies, 230 millions d’enfants vivent dans des régions en proie à un conflit. En dépit de l’arsenal juridique international, des milliers de mineurs parfois très jeunes sont enrôlés de gré ou de force dans des guerres civiles ou des insurrections. Difficile de donner un nombre exact puisqu’il évolue au gré de l’actualité. Mais depuis plusieurs années déjà, on évalue leur nombre à 250 000, dont 130 000 sur le continent africain. Ces enfants, privés de leurs droits fondamentaux, sont mobilisés en tant que combattants, espions, porteurs, domestiques ou démineurs.
Des proies faciles
A l’initiative de l’ONU et de l’UNICEF, plusieurs mécanismes ont été mis en place pour mettre un terme au recrutement des mineurs au sein des forces gouvernementales. Mais en dehors des armées régulières et de la police, les enfants sont souvent associés à divers milices et groupes armés qui sévissent dans de nombreux pays. L’ONU a répertorié 23 situations de conflits dans le monde en 2014, impliquant 57 groupes armés. Autant de confrontations qui mettent en péril la vie et l’équilibre physique et psychique de dizaines de milliers d’enfants.
Pour les recruteurs, les enfants sont des proies faciles. Ils constituent une main d’œuvre bon marché et sont aisément manipulables.
Yineth* est colombienne, elle a été recrutée à l’âge de 12 ans par les FARC dans l’Etat de Caqueta, une région sous contrôle des forces armées révolutionnaires. Ses parents qui n’avaient ni argent, ni nourriture à donner aux combattants ont été contraints d’offrir leur fille. A 17 ans, Yineth décide de s’enfuir. Les conséquences sont dramatiques.
« On leur appartient et on doit leur obéir quel que soit l’ordre. Il n’y a pas de différence entre l’ordre d’aller chercher de l’eau et celui de tuer ou d’enlever quelqu’un. Ne pas obéir à un ordre c’est une trahison, on risque notre vie, celle de notre famille, et de graves conséquences… Ils ont assassinés une partie de ma famille. Ils ont enlevés ma mère, ils ont fait déplacés toute ma famille du département, mais on se relève de tout dans la vie…. Ces gens me demandent pardon de façon sincère. Il faut pardonner car je me demande combien de personnes j’ai fait souffrir, pas parce que j’en avais envie, mais pour obéir à un ordre. Les vrais bourreaux sont peu nombreux. Nous sommes pour la plupart victimes d’idéologie. Si j’ai fait du mal à quelqu’un, pardon, je l’ai fait mais pas par choix ». Yineth est démobilisée des FARC depuis 2006. Son parcours de réinsertion a duré sept ans.
Situation préoccupante au Moyen-Orient
Dans un contexte de grande pauvreté, les jeunes adolescents, garçons ou filles, subissent un endoctrinement. Ils sont parfois drogués ou envoyés dans des camps d’entrainement avant de partir combattre. C’est le cas notamment des enfants soldats recrutés par les groupes jihadistes en Irak et en Syrie. L’Organisation Human Rights Watch indique que le phénomène s’est largement répandu ces quatre dernières années au Moyen Orient.
Selon Nadim Houry, directeur adjoint pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord à HRW, la liste des groupes armés qui recrutent des enfants dans la région est longue. Ainsi, les groupes jihadistes comme le Front Al Nosra, ou l’organisation Etat islamique n’hésitent pas à mettre des armes entre les mains de jeunes adolescents et à les encourager à mener des attaques suicides. D’autres groupes envoient aussi des enfants sur la ligne de front comme l’Armée syrienne libre, les groupes chiites affiliés au gouvernement syrien ou les Kurdes. En Irak, des mineurs sont recrutés par les milices chiites, de même qu’au Yémen ou en Lybie. Des dizaines de milliers d’enfants se retrouvent instrumentalisés dans la région.
Nadim Houry précise que les enfants ne sont pas victimes d’enlèvement comme cela a pu être le cas dans les conflits au Sierra Leone ou au Libéria. « Les motivations sont différentes : il y a des jeunes qui veulent venger le décès d’un proche ou qui veulent se sentir utile au lieu de rester à ne rien faire dans des camps de réfugiés. D’autres enfants n’ont pas le choix. Ils ont besoin de combattre pour gagner leur vie pour pouvoir subvenir à leur besoins et ceux de leur famille. Certains s’engagent par conviction et idéologie, ils croient en ce qu’ils font ou alors, ils s’engagent par manque d’alternative. Il n’y a donc pas de profil type, comme il n’y a pas de groupe armé typique. Vous avez des groupes comme Daech, ou des mouvements très séculaires et nationalistes comme les groupes kurdes en Syrie avec une idéologie presque marxiste, ou encore des groupes religieux chiites en Irak et en Syrie. C’est une panoplie de groupes et de raisons. Mais malheureusement ce qui fait peur, et on l’a vu dans le passé, c’est une génération perdue, difficile à rattraper, ils ont souvent arrêté l’école très jeune, dans une région en pleine ébullition. »
Réintégration dans la société civile, un processus difficile
De nombreuses ONG impliquées sur le terrain mènent des projets de réintégration, comme l’UNICEF qui supervise des programmes de prévention et de protection, pour empêcher notamment de nouveaux recrutements. Ainsi, depuis 2001, près de 100 000 enfants ont pu être soutenus dans leur libération et leur réinsertion. Cette assistance passe par la scolarisation, l’apprentissage d’un métier et bien sûr un soutien psychosocial. L’une des priorités de ces ONG est d’assurer à ces enfants le soutien des communautés qui les accueillent et un environnement protecteur. Les précisions du responsable de l’UNICEF en Centrafrique, Mohamed Malick Fall.
« Le travail de l’Unicef se décline en plusieurs étapes. Dès leur sortie d’un groupe armé, on leur fait immédiatement passer une visite médicale. Parce que l’impact de la détention dans ces groupes sur leur santé est extrêmement important. La deuxième étape consiste à améliorer leur aptitude psychosociale. Parce que ces enfants ont perdu ce que l’on peut appeler les habitudes normales d’un enfant, à savoir jouer, apprendre, s’insérer dans une famille et une communauté. Il y a aussi un long travail de recherche des familles. Certains enfants partent combattre dans des régions très éloignées de leur lieu d’origine. Il faut par la suite entamer un processus de médiation pour que les familles et les communautés acceptent à nouveau ces enfants. Car souvent ce sont des enfants qui sont partis depuis longtemps, dont les comportements ont changé et qui ont dans certains cas pu commettre des atrocités dans ces communautés. Le retour n’est donc pas un processus simple, qui ne se fait pas du jour au lendemain et qui demande un travail de médiation ».
Message d’espoir
Si de nombreux enfants éprouvent d’énormes difficultés à retrouver une vie normale, à effacer les images destructrices et traumatisantes dont ils ont été acteurs et victimes, certains réussissent pourtant à s’en sortir. Comme Ishmaël Beah*, un Sierra léonais de 26 ans. Orphelin, recruté par un groupe armé durant la guerre civile au Sierra Leone et poussé à commettre des atrocités, Ishmaël vit aujourd’hui à Brooklyn dans une famille d’adoption. Devenu ambassadeur de l’UNICEF il parcourt le monde pour aider les ex enfants soldats.
« La guerre est entrée dans ma vie lorsque j’avais 12 ans. Dès l’âge de 13 ans j’ai été recruté et j’ai commencé à combattre. A 16 ans j’ai pu m’en sortir et commencer à reprendre pied, doucement. Je suis allé dans un centre de réinsertion et j’ai eu la chance d’être adopté par une famille aux Etats-Unis. J’ai pu aller à l’école et travailler sur moi. A partir de là, j’ai réalisé que ce qui avait vraiment changé dans ma vie, mis à part le fait d’avoir désormais une stabilité familiale, c’est d’avoir accès à de vraies opportunités. Ma chance c’était d’avoir une vraie éducation, pouvoir me redécouvrir et réaliser que mon intelligence pouvait servir à autre chose qu’à survivre ».
Une majorité des enfants soldats garde des blessures psychologiques profondes: syndrome post-traumatique, anxiété, agressivité, problèmes émotifs et comportementaux graves. La réintégration dans la société civile est un chemin long et difficile, le combat de toute une vie. Mais les experts sont unanimes, si les enfants sont les plus fragiles, ils ont aussi une incroyable capacité de résilience.
*Témoignage recueilli par Véronique Gaymard