Les chances du Français d'accéder à la présidence de la Fifa sont compromises après l'annonce ce jeudi de sa suspension pour quatre-vingt-dix jours.

 

Comment Michel Platini a été empapaouté par Sepp Blatter

 

Jeudi matin, est arrivé au siège de la Fédération internationale de football (Fifa) le dossier de candidature de Michel Platini, qui vise la présidence de l’instance à l’issue des élections anticipée du 26 février. Quelques heures plus tard, l’affaire était pour ainsi dire réglée : la commission d’éthique suspendait «de toute activité liée au football, au niveau national comme international» l’actuel président de l’Union européenne de football ainsi que le président démissionnaire de la Fifa, Sepp Blatter, pendant une période de quatre-vingt-dix jours. Auxquels pourront s’ajouter quarante-cinq jours supplémentaires si cette même commission d’éthique le juge utile pour la bonne marche de ses investigations.

 

La date limite du dépôt des candidatures étant le 26 octobre et un éventuel recours devant la commission n’étant pas suspensif, Platini est mort. En cause : les 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) de salaire perçus par Platini en 2011 pour un travail «prétendument effectué» (on cite la justice suisse) pour l’instance faîtière entre 1999 et 2002, travail qui n’a donné lieu à aucune contractualisation mais dans le cadre duquel Platini avait sous sa responsabilité deux employés qui, eux, avaient un contrat de travail avec la Fifa.

 

L’ancien numéro 10 a par ailleurs payé des impôts sur cette somme, nullement occulte : seul le prix fait dès lors débat, ce montant élevé ouvrant la possibilité d’un travail fictif et d’une contrepartie pour service rendu puisque Platini avait œuvré – via son image virginale de joueur, «le football aux footballeurs», etc. – pour l’élection de Blatter à la tête de la Fifa en juin 1998 au détriment du Suédois Lennart Johansson. Voilà pour les apparences.

 

Petit plaisir

 

Ce qui se cache derrière le rideau, c’est l’histoire d’un Platini que Blatter, qui a juré sa perte, aura mené à l’abattoir avec une maestria et une science du timing exceptionnelles. Peut-être le chef-d’œuvre politique d’un Valaisan qui a toujours suivi cette règle d’airain : ne jamais piquer le moindre centime tout en laissant les autres taper allègrement dans la caisse, rapprochant à l’occasion leur main du pot de confiture. A ce compte-là, Blatter tient tout le monde. Il mouille ou non.

 

Un : c’est le cabinet d’avocats travaillant pour Blatter qui a mis la police suisse sur la piste des 2 millions versés à Platini, les dénégations apportées par l’édile suisse le lendemain – «Platini est honnête» – relevant dès lors d’un petit plaisir qu’il s’est offert pour amuser ses proches. Deux : historiquement, la chambre de jugement de la commission d’éthique de la Fifa est le tueur à gage de Blatter, torpillant le Qatari Mohammed bin Hammam parce qu’il a le malheur de se présenter contre lui en 2011, enterrant le rapport de l’enquêteur américain Michael J. Garcia parce qu’il mettait en cause le système Blatter ou expédiant le Chilien Harold Mayne-Nicholls dans les cintres – sept ans de suspension – parce qu’il a eu le malheur de demander par mail un boulot pour son fils dans un projet financé par les Qataris. Trois : cette commission d’éthique ne pouvant pas sanctionner Platini (prétendument bénéficiaire d’un abus de biens sociaux aux dépens de la Fifa à hauteur de 2 millions de francs suisses, donc) sans sanctionner Blatter (auteur de cet abus), elle a tiré l’échelle pour tout le monde à minima.

 

Expression du génie du Suisse

 

Le Français perdra la possibilité de se présenter à l’élection. Blatter, lui, ira à la pêche, s’occupera de ses petits-enfants et rechargera les accus en vue d’une dernière ligne droite qu’il espère plus longue que prévue. Encore une expression du génie du Suisse : à force de dégainer les dossiers pour couper la tête de tous les candidats crédibles à l’élection du 26 février, celle-ci pourrait être remise en cause. Ce qui conduirait le président en place à rester un peu plus longtemps pour assurer une transition pacifiée et crédible : Blatter repartirait dès lors pour une petite année, seul pilier éprouvé d’un système qui doit tourner coûte que coûte faute de voir les compétitions internationales disparaître.

 

Cette thèse du sabotage de l’élection, le Coréen Chung Mong-joon l’a porté sur la place publique mercredi quand il a promis un dépôt de plainte contre Blatter pour «détournement» : jeudi, la commission d’éthique lui collait six ans de suspension et 100 000 francs suisses d’amende. Platini, qui avait rencontré un membre de la chambre d’investigation du comité d’éthique avant la sentence, a promis qu’il ne se rendrait pas sans combattre. Le président de l'UEFA s'est dit prêt dans un communiqué «à faire triompher [s] a bonne foi» et «à faire valoir [s]on bon droit devant les juridictions compétentes», qualifiant ses allégations de «farce». Techniquement, c’est la commission électorale qui valide les dossiers et celle-ci statuera sur son cas dans quelques jours : comme elle sollicite invariablement une enquête d’habilitation de la part de la commission d’éthique et que celle-ci vient d’envoyer Platini dans les ronces, cette commission ressemble à une porte ouverte que Platini prendra en pleine gueule quand il essaiera de la franchir. Il ne lui reste que le Tribunal arbitral du sport. Et la perspective d’une bataille juridique n’augurant rien de bon pour l’image de celui qui, voilà encore un mois, figurait le «Monsieur propre» du ballon.